Histoire de violence systémique

J’ai plaidé coupable. Officiellement, j’ai plaidé coupable de cinq bris de conditions, possession simple, vol à l’étalage, et double voix de fait armé sur de la flicaille. Dans les faits, je suis seulement coupable de deux bris, d’un vol à l’étalage de sept dollars et de possession simple d’un point sept grammes de cannabis. Mais je suis surtout coupable d’être amoureux et de ne plus vouloir passer une journée de plus sans elle, coupable de ne pas vouloir passer une journée de plus sans liberté, sans intimité, sans alimentation saine et suffisante, sans mes amis, mes camarades, mes compagnons de vie, ma famille. De ça, je suis définitivement coupable. 

Car c’était bien cela l’enjeu : même si officiellement, les petits-bourgeois bien-pensants vantent notre «démocratie» et «l’égalité de tous devant la justice», que nous sommes sensés être «innocents jusqu’à la preuve du contraire», dans les faits, ils peuvent nous priver de tout droit et de toute dignité, et ce, avant même d’être jugé, selon la bonne volonté des techniciens de l’oppression. Alors combien ont, comme moi, exaspéré d’être confiné entre des murs de béton et des clôtures sans fin, loin des êtres chers à leur coeur, plaidé coupable pour des méfaits qu’ils n’ont pas commis ? Combien, devant la durée interminable des procès et des remises, la perspective de leur peine pendant au-dessus de leur tête tel une épée de Damoclès, ont émis un plaidoyer de culpabilité en étant pourtant totalement innocent ?

Beaucoup trop, beaucoup trop de victimes, beaucoup trop souvent. Ces charognards, ils ont le gros bout du bâton ; ils étirent les procédures, ils prolongent la guerre psychologique, dans le confort de leur condo payé à même vos taxes, pendant qu’on s’arrache les cheveux, qu’on dépérit, qu’on angoisse, qu’on anticipe le retour à nos vies dans le brouillard des dédales judiciaires. Les vrais criminels, les vrais briseurs de vie, ils portent des toges et ils ont leur barreau.

Alors oui, j’ai plaidé coupable. Je croyais pouvoir lutter contre ce système d’injustice en gardant les mains propres, en gardant le cover d’un gentil travailleur social. Je croyais naîvement pouvoir longtemps garder un dossier vierge, rester, en apparence, un «citoyen respectable.» Et bien tant pis. Les jeux sont faits, en m’ostracisant définitivement comme un délinquant, un marginal, un criminel – qualificatifs que j’accepte avec honneur et fierté, puisque j’ai été témoin de beaucoup plus d’humanité et de fraternité en prison que chez les gens «honorables» – vous, patrons, exploiteurs, flics, militaires, procureurs, juges, vous venez de vous assurer un ennemi définitif, décomplexé, qui a beaucoup moins à perdre qu’il y a quelque semaines.

 

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